Une justice à deux visages (PV Streith Ishtar)

En cette fin de journée, les rues de Mystros se vidaient peu à peu de ses occupants. Le soleil ne s’était pas encore couché sur la grandiose métropole que la majorité des honnêtes gens retournait chez eux près de leur famille. Ne laissant dans la capitale que la racaille habituelle de la cité préférant l’anonymat du soir à l’effervescence du jour pour commettre leur méfait.

Pour ma part, j’arpentais les ruelles du quartier marchand, titubant sur ma béquille de bois. La rage rongeait mes pensées comme de la rouille ronge le métal. Mon unique jambe finit par glisser sur un des détritus polluant la chaussée. Écroulé sur le dos, face vers le ciel, je portai à mes yeux mon bras gauche. J’avais toujours eu honte de ce bras difforme aux trois doigts biscornus. Mais en cet instant, le fardeau que m’apportait la vue de ce déshonneur était décuplé par l’objet vil qui y prenait place : le vide. L’épée de mon mentor Janus Maulasson, l’arme de mon deuxièmement père, l’unique source de fierté qui me permettait de me tenir debout ne s’y trouvait plus.

Ce matin encore je marchais fièrement à travers les rues de Mystros émerveillé de par sa grandeur et sa beauté. Ma béquille de bois et l’épée de Janus appuyant ma démarche. Le quartier marchand bouillonnait d’activité et chaque bourgeois tentait avec acharnement de vendre ses produits. C’est avec curiosité que je me suis approchée du kiosque d’un vieil homme trapu astiquant une armure. Voilà le terrain de jeux où la malédiction allait de nouveau s’amuser à mes dépens.

Devant l’étalage, il y avait un client vêtu de somptueux vêtement. Distrait, ma béquille vint lui écraser le pied.

-Ho mille excuses monsieur.

Le marchand se redressa d’un coup. Dans son ton, on aurait cru que je venais d’insulter sa mère.

-Espèce de sale infirme!! Par qui donc as-tu été éduqué? Tes parents ne t’ont jamais appris à respecter l’autorité royale. Pour qui te prends-tu misérable pour parler de la sorte à un noble tel que Sir Laraux?!

*Un noble!! Mais que venais-je de faire ?*

Aussitôt je mis mon seul genou en terre. Je me confondis en excuse, expliquant que c’était la première fois que je venais à Mystros et que je ne connaissais personne et si j’avais su à qui je m’adressais je l’aurais salué comme il se doit. Janus m’avait montré les gestes recommandés devant un noble. Il m’a expliqué que même si on ne connait pas l’étendue de son pouvoir on lui devait respect. Mais quelle bourde!

Ce Sir Laraux sembla prendre la situation avec humour. Il faut dire qu’un unijambiste tentant de se mettre à genou est assez cocasse. Quel cancre je faisais! Il m’invita à me relever et me dit avec un sourire.

Ce n’est pas grave. Vaux mieux ta béquille en bois que ton épée.me dit-il en la pointant du doigt.

Je ris avec lui. Il m’avait l’air sympathique. Il m’interrogea sur la raison de ma venue à Mystros. Je lui expliquai que je venais pour m’engager dans la garde de la ville. Il resta perplexe quelque instant. Le marchand moins respectueux se mit tout simplement à rire. C’était incongru que je puisse en faire partie, mais je voulais, non, je devais à tout pris en faire partie. Je devais terminer la formation que mon maître Janus avait commencée. Sir Laraux poursuivit

-Je ne crois pas qu’ils voudront de toi dans leur rang. Mais tu me sembles brave et très discipliné. Je pourrais peut-être user de mes contacts pour t’aider dans ta démarche…

J’étais estomaqué. J’allais le louanger de remerciement, mais il termina sa phrase.

-cependant j’aimerai quelque chose en échange….

Le fil de mes pensées fut brutalement interrompu par un bruit près de moi. Comme une sorte de râlement roque. En état de panique, j’essayai de me relever, mais sans l’aide de mon épée pour je tombasse de nouveau sur le sol. Qu’est-ce que cela pouvait-il être : un monstre, un voleur, un fantôme? Je ne m’étais pas rendu compte que le soleil s’était couché et qu’il faisait nuit. Je me trouvais dans une ruelle isolée, sans arme ni rien pour me défendre à l’exception de ma béquille attachée à mon bras droit. Quelle galère! Je tentai de nouveau de me remettre sur pied quand je vis un chat sortir de l’ombre. C’était ça le bruit? Je le vis s’éloigner calmement comme si je n’existais pas. Je me mis à soupirer de soulagement pensant que le danger venait d’être écarté. Mais, l’était-il???